2 juillet 2022
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« L’étoile brisée »
par Nadeije Laneyrie-Dagen
Editions : Gallimard
Parution : Janvier 2022
742 pages
24 €
Cette fresque romanesque se doit d’être lue tant elle plonge le lecteur à une époque charnière de l’Histoire, la fin du Moyen- Age qui annonce la Renaissance. Elle se déroule comme un film aux couleurs de lumière et de nuit, où imagination et réalité historique se confondent . Nadeije Laneyrie-Dagen entremêle l’impitoyable antisémitisme castillais et la découverte des Canaries pleines de promesses, les richesses florentines et la dictature théocratique de Savonarole, la pauvreté de la Saxe et le commerce des indulgences ! Elle magnifie les aventures maritimes, dénonce l’emprise des explorateurs sur les terres nouvelles mais témoigne d’un mariage possible entre une petite esclave sauvage et le célèbre florentin Amerigo Vespucci. Si les premières pages émeuvent par le pogrom qui démembre la famille juive des Cocia, bien vite elles laissent place au courage des deux jeunes garçons qui mettent leur intelligence au service de l’humanité. L’un deviendra le cartographe des deux célèbres navigateurs Christophe Colomb et Amerigo Vespucci, l’autre sera le médecin personnel de Luther. Pendant ce temps le vent tourne à Florence, on assiste à l'exécution de Savonarole décrite avec exactitude par un des Vespucci au service de Lorenzo de Medicis, tandis que son frère poursuit sa vocation d’explorateur. L’auteure ne se limite pas à deux sagas familiales . Elle dénonce les rivalités politiques entre Castille et Portugal, raconte le siège de Tlemcen entre chrétiens et mahométans, dépeint les embarcations pleines de soieries lyonnaises, d’ivoire ou de citronniers espagnols en partance pour Londres qui rapprochent Henry VIII de François Ier. Le lecteur restera longtemps avec le souvenir du jeune Cocia qui pour survivre dut par trois fois changer de patronyme, d’où le beau titre symbolique de cet écrit. Le désir d’aventures, d’honneurs et d’amours érotiques semblent ainsi avoir toujours mené le monde. Véritable peinture flamboyante comme pour évincer à tout jamais l’obscurantisme, ce livre aux sept cents pages séduira le lecteur qui en craignait l’épaisseur.
B. C. D.
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2022
26 juin 2022
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« Un été avec Colette » par Antoine Compagnon
Editions des Equateurs
Parution : Avril 2022
239 pages
14 €
Si « Colette savait regarder » on peut dire de même d’Antoine Compagnon. Membre de l’Académie Française , professeur émérite au Collège de France, il cerne en profondeur cette célébrité littéraire qui fit couler beaucoup d’encre. Colette, cette femme libérée sut transformer en trophée le fardeau des épreuves rencontrées. Deux maris volages, dont un voleur de ses écrits, font d’elle une femme éternellement en quête d’amour. Sido sa mère sut lui ouvrir les yeux , la douceur de la création a bercé son enfance et développé une sensibilité qui n’a rien de mièvre mais plutôt a développé un caractère bien trempé. L’actrice de fin de carrière n’a pas honte d’avoir été longtemps simple pantomine. La journaliste n’a pas honte de dire que ce n’est pas la politique qu’elle aime, mais le quotidien des gens simples. La mère n’a pas honte d’accuser la maternité d’entraver l’écriture , mais son cri d’angoisse dans le « Où sont les enfants ? » et sa rage enfantine dans son livret « L’Enfant et les sortilèges » transcrit par Ravel reflète sa position contre l’ avortement. La femme trompée s’oppose publiquement aux féministes qui selon elle ne méritent que le harem ! Pas de honte non plus de ses liaisons successives sans lesquelles peut-être ses talents ne se seraient pas autant révélés ! La chroniqueuse du « Petit Parisien » pétainiste n’hésite pas à protéger ouvertement la judéité de son troisième époux. Enfin l’écrivain sans pareil tentera d’ ouvrir un commerce de produits de beauté comme la provinciale qui adore son village fera plein de voyages avant de se retirer derrière ses fenêtres du Palais-Royal . En effet il ne faut pas avoir les scrupules du capitaine Colette pour écrire , il faut vivre et foncer au-delà de la page de la dédicace ! Une fois de plus on ne peut que remercier Antoine Compagnon de montrer la complexité de l’âme concrétisée en mots simples mais charmeurs, francs mais nuancés, souffrants mais en définitive salvateurs …
B. C. D.
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2022
22 juin 2022
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« L’autre Molière » par Eve de CASTRO
Editions : L’Iconoclaste
Parution : Janvier 2022
346 pages
20 €
Les arcanes sur l’identité d’un Molière qui ne serait autre que le grand Corneille vont-elles être élucidées par Eve de Castro ? Si le sujet est ambitieux, la romancière le traite avec brio. Dès le début elle adopte le franc parler propre aux acteurs de l’Illustre Théâtre, cerne les tempéraments opposés mais si complémentaires. Molière fait pleurer de rire ou de tristesse et contraste avec la grandiloquence de Corneille, arriviste en amour comme en affaires. Si le farceur est mort en jouant sa comédie du « Malade imaginaire », l’homme du devoir et de l’honneur, dénommé le Vieux Pierre, est partagé entre la manigance et le scrupule. Des proches témoignent de leur duplicité, spécialement les deux Béjart qui ont partagé leur vie et leur lit. Eve de Castro entremêle le style du comédien avec celui du dramaturge comme les talents de Madeleine « l’accoucheuse » avec ceux d’Armande « la profiteuse ». Chacun des deux génies littéraires s’est laissé infecté par un mal incurable, Molière mourant d’être un mal aimé, à la différence de Corneille toujours animé par un esprit de conquête. Alors tandis que l’un se jette dans les plaisirs de l’instant et se réjouit de l’imprévu sur scène, l’autre songe à sa postérité et travaille à la beauté de ses alexandrins. Après tant de tergiversations sur des pièces à quatre mains tombe un dénouement peu crédible certes , mais dont la sensibilité poétique correspond parfaitement aux deux poètes qui s’entraidaient autant qu’ils rivalisaient. Livre passionnant qui révèle au lecteur les vicissitudes d’une troupe d’acteurs prêts à tout pour divertir le peuple et gagner la cour des grands. B.C.D
Published by brigitte clavel-delsol
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2022
17 juin 2022
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« Le dernier mouvement »
par Robert Seethaler
Editions : Wespieser
Parution : Février 2022
122pages
15 €
Le vieux Gustav Mahler est souffrant. Appuyé au bastingage du pont supérieur de l’Amerika qui le ramène en Europe, il pressent que cette traversée de l’Atlantique est pour lui la dernière. Comme tout homme au seuil de sa mort il voit repasser le film de sa vie. L’auteur autrichien de cette biographie à rebours parvient à redonner vie à ce musicien dont la célébrité internationale n’empêchait pas les railleries sur sa judaïté et son physique ingrat, ni même ce sentiment de solitude qui n’épargne personne. Les souvenirs de Mahler jaillissent désordonnés et à toute allure car le temps est compté. Les images défilent, des plus désuètes, comme son vieux pupitre, aux plus précieuses, comme les yeux embuées d’une épouse ou sa maison du Tyrol aux couleurs plus vives que celles de l’Océan. A ces empreintes indélébiles s’ajoutent des souvenirs controversés, sa colère contre l’ impresario mégalomane Emil Gutmann auquel il dût son plus grand triomphe, son exaspération de l’Opéra de Vienne qu’il réforma avec succès mais à quel prix! L’auteur nous transporte dans ce siècle fertile où Rodin comme Freud, où St Pétersbourg comme New York sont prometteurs mais oh combien décevants! Si un sentiment de la fin l'envahit, Mahler entend déjà la "neuvième symphonie" vibrer dans sa tête avant même qu’il ait eu le temps de la présenter. Très joli livre qui fait mieux comprendre les œuvres de ce grand compositeur.
B.C.D.
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2022
13 juin 2022
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Editions : Actes Sud
Parution : Janvier 2022
196 pages
19,50 €
Dogmatiques, extravertis et pragmatiques, abstenez-vous de cette lecture ! Elle est réservée aux doux rêveurs, à ceux qui aiment le recueillement, l’éclaircissement des mystères qui apaise l’âme. Simon est un psychanalyste en fin de carrière, jamais remis lui-même de son histoire d’amour éclaté. Dès les premières pages le bol brisé auquel il tenait tant symbolise la fracture de son cœur. A force d’écouter en silence les épanchements des autres il s’est oublié jusqu’à finir par douter de cette profession à laquelle il s’est toujours consacré. Alors il largue les amarres, s’en va sur une île japonaise où les hôtes qui le reçoivent font preuve d’un profond respect pour son repos. Là, au-delà des océans et d’un langage inconnu, il s’immerge dans une culture nouvelle, dans les couleurs chatoyantes des fleurs et des tissus japonais, jusqu’à ce qu’il découvre la similitude entre sa profession et le kinsugi, art qui relie de fil d’or les céramiques cassées et les transforme en joyaux. Une belle escapade japonaise pour ceux qui aiment les voyages et la thérapeutique de l’âme …
B.C.D.
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2022
6 juin 2022
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« La puissance des ombres »
par Sylvie Germain
Editions : Albin Michel
Parution : Avril 2022
214 pages
19,90 €
Exercice de style ou saute d’humeur? Telle est la première réaction du lecteur surpris par le magnifique contraste stylistique dont l’auteure fait preuve. L’histoire commence dans une gaieté qu’on ne peut imaginer plus joyeuse. Un anniversaire regroupe une bande d’amis, tous déguisés avec imagination et loufoquerie, y compris deux salariés embauchés pour la soirée qui vont vite finir par oublier leurs responsabilités professionnelles. Quand le serveur Sylvain Leuseudre réalise la légèreté de tout ce monde excité, y compris celle de son collègue, il ressent un malaise. Mais ce mal-être est bien moindre que celui que va subir toute l’assemblée quand deux d’entre eux vont subir une chute mortelle… Trop de chance et d'insouciance chez certains engendreraient- il un raptus suicidaire ou criminel chez d’autres? Tel est le thème central du roman, où Sylvie Germain devient porte-voix des laissés-pour-compte. Car depuis sa tendre enfance Sylvain a trop souffert et les ombres des disparus l’enfoncent dans la spirale de l’irréparable. Vision d'un monde où la violence jaillit comme un geyser quand l’homme n’a rien d’autre à offrir à Dieu que sa faiblesse et sa douleur…
B. C. D.
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2022
31 mai 2022
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« Dans la lumière des saisons »
par Charles Juliet
Editions : P.O.L
Parution : Février 2022
74 pages
7€
Qui est cet amie lointaine à laquelle Charles Juliet s’adresse ? Peut-être est-ce son épouse défunte ou simplement vous lecteur, ou plus certainement encore son âme de poète qui a vécu toutes les saisons et qui les revit encore, mais avec une toute autre perception. Car cette avidité pour une vie grisante qui se réveille habituellement avec le printemps finit par s’estomper et avec elle s’en va l’attente lancinante de toujours plus et mieux. Le printemps comble l’homme qui n’attend plus rien des étés trop longtemps idéalisés. Celui-ci ne se sent plus tributaire de l’environnement. Il atteint la saison de la maturité comme le fruit fortifié par les intempéries, comme le lecteur assouvi par ses livres, comme le promeneur heureux de s’enfoncer dans la neige et d’y trouver l'inspiration désirée. Livre apaisant qui transperce la nuit des temps en faisant croître la vie en soi et autour de soi...
B. C. D.
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2022
30 mai 2022
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« Reine de cœur »
par Akira Mizubayashi
Editions : Gallimard
Parution : Février 2022
235 pages
19€
« L’oreille voit, l’œil écoute », tel est l’enjeu de ce très beau roman où l’auteur parvient à transcrire dans chacun de ses chapitres les cinq mouvements de la « Huitième symphonie » de Chostakovitch. Impossible dorénavant de dissocier la tonalité ambivalente de cette composition musicale avec les tourments de Jun Mizukami, soldat nippon rappelé au pays pour participer aux horreurs de la guerre. Dès le début, le style de l’écrivain est aussi douloureux que le grincement des instruments musicaux qui, avant d’éclater en un motif fortissimo, annonce les supplices endurés par Jun, fermement opposé au despotisme monstrueux de l’armée impériale. Le deuxième mouvement, plus vif et léger, appartient aux deux femmes qui se joignent à sa destinée, Anna jeune institutrice parisienne et Ayako jeune infirmière de Tokyo, toutes deux victimes elles aussi du nazisme et du communisme. La détonation grave des multiples instruments musicaux du troisième mouvement reflète des notes hurlantes d’espérance. En effet une rencontre bienveillante, une simple biographie, des gènes d'artistes transmis par des ancêtres bien-aimés ne peuvent-ils pas changer le cours des évènements ? Malheureusement il est impossible de ne pas interpréter le quatrième mouvement en marche funèbre. Le passage au fortissimo n’est-il pas le transfert de la solitude morale en une funeste folie ? Par bonheur la pureté du solo de l’alto achève le cinquième mouvement avec un pianissimo qui transforme la chance en une heureuse Providence ! Livre aussi beau que « Ame brisée » qui a fait la célébrité de Akira Mizubayashi dans le monde entier.
Brigitte Clavel Delsol
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2022
22 mai 2022
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« Le corps de l’âme » par Ludmila OULITSKAÏA
Editions : Gallimard
Parution : Mars 2022
204 pages
18,50 €
A ses longues sagas familiales, Ludmila Oulitskaïa substitue de petites nouvelles toutes aussi d’actualité les unes que les autres. Elle les dédie à toutes les femmes de sa vie, à ses filles, petites-filles, mères ou grand-mères, vivantes ou défuntes, en un mot à ses amies de toujours. Semblable à toutes, elle ne leur cache pas son indéfectible attachement. Qu’elles soient masculine et colérique, ou docile jusqu’à en être cruche , déprimée et craintive, intellectuelle sans cœur ou mère despote, fille têtue et anticonformiste, toutes finissent leur vie d’une façon bien inattendue. Car à force d’opiniâtreté et de volonté, de rationalisme et de réflexion, il arrive un moment où le doute survient, où l’inattendu surgit, où l’inespéré arrive. Une grâce divine serait-elle à l’origine d’une découverte de l’au-delà, de l’invisible , de l’essentiel, d’un revirement extrême qui laisse le lecteur anéanti par un tel aveuglement ? « Bénis soient ceux »dont on n’a pas vu l’âme… Alors sous une apparence ésotérique, les dernières nouvelles révèlent la force du talent créateur ou de l' « amour accumulé ». Tout ce qui vient du ciel, comme une musique trop belle, une fidélité qui se transmet de génération en génération ou une insoumission au Parti, est immortel. Le surnaturel est ressenti comme « réalité convaincante», et le couloir de la mort devient une image lumineuse à trois dimensions. Il y a du Sylvie Germain dans le style de Ludmila Oulitskaïa , une écriture onirique mais oh combien révélatrice d’une dimension qui sort de l’échelle humaine! D’où ce titre qui charge l’âme d’un corps, car le spirituel est réel et c’est bien ce que déjà la romancière avait perçu dans le fin fond du cœur de chacun de ses protagonistes.
Published by brigitte clavel-delsol
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2022
18 mai 2022
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« Le Désert des Tartares » par Dino BUZZATI
1ère parution : 1994
Editions : Pocket
267 pages
Rien ne semble se passer au fort Bastiani où le lieutenant Drogo n’a pas l’intention de rester. Et pourtant il y restera jusqu’à sa mort, comme le lecteur lira jusqu’au bout cette vie sans aventure. Rien ne retient ces sentinelles du désert, ni les ennemis qui n’arrivent jamais, ni l’amitié car chacun pense à soi, ni le paysage rocheux entouré de brumes septentrionales qui rend suspect tout nouvel arrivé. Alors peu à peu le fort va se vider et Drogo monter en grades. Quand apparaissent d’étranges mouvements à la frontière, les instructions du Commandement Supérieur sont claires : interdiction d’interpréter ces bruits comme des menaces ennemies. Si Drogo rêve de se rendre utile, son destin apparaît tout autre. Mourir en héros de guerre ou, à défaut, dans la maison familiale, serait une belle issue…Mais quand on est faible et vaincu, quand toute sa vie on a obéi, on ne choisit pas sa mort ni on ne la subit : on la transcende. Tel semble être le message de Dino Buzzati, non pas une leçon de vie kafkaïenne, mais bien plutôt une cristallisation de l’existence. Par la beauté de son style il nous donne l’impression de rejoindre la pensée chère à Bergson qui réussit à concilier la nouveauté de l’évènement avec la continuité de la durée spirituelle. A force d'osciller entre spleen et idéal, Drogo ne finit-il pas par être libéré de toutes prétentions terrestres? Les fastidieux arpèges échappés jadis des fenêtres ouvertes ne sont-ils pas les plus beaux souvenirs de piano jamais entendus? Très beau livre qui mérite d'être redécouvert, l'anti-héros faisant preuve d'une bouleversante profondeur. B.C.D.
Published by brigitte clavel-delsol