24 avril 2019
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« La femme aux cheveux roux »par Orhan PAMUK
Editions : Gallimard
Parution : Février 2019
298 pages
21 €
Orhan Pamuk parvient toujours à relier l’intime et le politique, la littérature et la philosophie, l’histoire vraie et le mythe. Alors son style est au rythme du travail de maître Mahmut, puisatier qui a pour unique outil une pioche qui cogne contre la roche du haut plateau d’Ongören, au-dessus d’Istanbul. Cem, le narrateur, est son apprenti jusqu’au jour d’un tragique accident qui va le culpabiliser pendant une trentaine d’année. Le passé va le rattraper mais d’une façon toute autre que celle imaginée. Avec une sensibilité d’adolescent et la culture d’un homme mûr, Cem ne cesse de se référer à « Œdipe roi » de Sophocle le Grec et au « Livre des rois » de Ferdowsi l’Iranien : quand il n’est pas absent, le père, oriental ou occidental, est toujours en lutte avec son fils. En effet, le plus grand regret de Cem, c’est de n’avoir jamais eu ni père ni fils, et le plus beau soir de sa jeunesse fut la représentation théâtrale de la femme aux cheveux roux, mère-épouse qui n’avait que ses yeux pour pleurer la lutte de Rostam et Shorab. Autoritarisme ou libertarisme, fatalisme ou volontarisme, tels sont les thèmes principaux de ce magnifique roman où « l’homme moderne s’égare dans la jungle des villes ». Ongören n’est plus, les barres d’immeubles en ont fait un quartier neuf d’Istanbul, le puits est cadenassé, mais la femme aux cheveux roux mérite le dernier mot. L’auteur lui rend la parole car le sens de l’honneur n’est pas réservé exclusivement aux hommes, mais aux femmes mal aimées…
B.C.D.
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2019
17 avril 2019
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« Venise à double tour » par Jean-Paul KAUFFMANN
Editions : Equateurs
Parution : Février 2019
327 pages
22 €
Le voyageur en partance pour Venise ne pourra se démunir de ce beau récit. Car c’est tout un panorama du passé et du présent, de l'intime et de l'intemporel, du faste et du dénuement que nous dévoile l’auteur. Le temps n’est plus où l’on ouvre les portes des sanctuaires aux aurores. Et si le désir de rentrer dans les églises fermées de la Sérénissime devient obsessionnel, ce n’est qu’ « une traque dans la mémoire …une sorte de remise en ordre », prétexte à faire revivre des bâtisses qui ont besoin du va-et-vient des fidèles, désir d’échapper à la « burocrazia », et d’aider ceux qui protègent du mieux qu’ils peuvent ces trésors inestimables tout en respectant leur mystère. Car le temps n'est pas le seul responsable de la destruction. L'ennemi c’est l’oubli, l'indifférence, la bonne conscience, le confinement. Le prisonnier du Hezbollah du Liban se souvient des séquelles de l’enfermement. La pierre d’Istrie a elle aussi besoin de la chaleur du temps et des âmes. Alors, depuis la petite île de la Giudecca, J-P Kauffmann contemple Venise avant de déambuler dans ses ruelles et frapper aux portes de ses églises. Quête artistique autant que spirituelle, démarche architecturale autant que religieuse. Si l’institution qu’est l’Eglise est imparfaite car humaine, Santa Croce comme Santa Maria del Pianto et toutes les autres , fermées ou entrouvertes, recèlent un message divin, cette force libératrice qui sauve des tendances destructrices, la grâce qui sauve du péché, comme l'incarnation sauve de la mort. Car, comme le rappelle J-P Kauffmann, « les beautés qui sont nées dans la foi ne peuvent s’en passer pour durer ». L'art sacré n'est-il pas ce que pleure aujourd'hui le monde? B.C.D.
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2019
11 avril 2019
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« Le naufrage des civilisations » par Amin Maalouf
Editions : Grasset
Parution : Mars 2019
332 pages
22 €
Le lyrisme d’Amin Maalouf ne dépare pas son observation politique. Sa tristesse est légitime. Elle concerne le sort de ses deux pays d’origine, celui de sa famille maternelle, l’Egypte, et le Liban, pays de son père, journaliste comme lui. Elle concerne aussi l’Europe, sa terre d’adoption, et toute la planète. Car, à force de constater les sempiternelles erreurs de l’humanité, cet observateur-né devient, non pas un Cassandre comme pourrait le faire croire le titre de son livre, mais un homme libre sûr que le naufrage des civilisations peut être encore évité. Selon lui, le pessimisme de notre époque s’explique principalement par les désillusions probantes du communisme, l’outrecuidance américaine et un sentiment d’échec croissant chez les Arabes depuis la naissance d’Israël et la Guerre des Six Jours. Amin Maalouf n’est pas un rêveur ni un dissimulateur. Tout son livre se base sur des évènements politiques, éclairés avec le recul du temps. Il déplore ce désir d’homogénéité des peuples qui augmente l’intolérance, il rend le morcellement des empires et l’étendard des religions responsables des conflits, dénonce le renversement des valeurs morales. Il met en garde autant contre l’égoïsme sacré de l’individu que le dirigisme d’un état athée. Le naufrage du « paquebot humain » ne sera évité que si les mentalités changent. Car de multiples turbulences de tout ordre menacent et Amin Maalouf de les énumérer jusqu’à la dernière page. C'est sciemment que celui-ci se veut alarmiste, pour ne pas dire pessimiste. Et pourtant le miracle semble exister, le voeu de sa grand-mère est exaucé: la statue de Ste Thérèse sur le seuil de sa maison d’Egypte résiste encore à toutes ces intempéries …
B.C.D.
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2019
6 avril 2019
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« Personne n’a peur des gens qui sourient » par Véronique Ovaldé
Editions : Flammarion
Parution : Février 2019
268 pages
19 €
Thriller ou étude psychologique? Fiction ou réalisme? Comique ou tragique? Telles sont les questions que se pose le lecteur du début à la fin de ce roman. L’ombre du révolver annoncé dès la première page s’estompe devant l’innocente gaieté de Gloria amoureuse. Mais l’atmosphère s’alourdit au fur et à mesure que se déroule le conte à rebours de son passé. Pourquoi Gloria quitte-t-elle subitement le Midi pour s’installer en Alsace, coupant ses enfants de leur environnement habituel, elle-même se masquant d’un sourire à tout vent dont « personne n’a peur » mais que sa fille lui reproche ? Derrière ce sourire, se cachent plus d’un secret, plus d’une révolte, plus d’une colère. Gloria a subi la déliquescence de son « grand amour »après le traumatisme d’une enfance douloureuse. Elle refuse de ressembler à la lignée des femmes de la famille, sans physique de muse ni amour maternel. La protection de ses filles devient obsessionnelle, au fur et à mesure qu’augmente sa suspicion. La désinvolture de Samuel, la défiance de l’oncle Jo, l’obséquiosité de Santini, ne sont que le début d’un triste combat. Le style est léger, le dénouement inattendu, le livre se lit avec la même rapidité que Gloria pour prendre ses décisions. On est proche d’Amélie Nothomb…
B.C.D.
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2019
25 mars 2019
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L’Evangile selon Yong Sheng » par Dai Sijie
Editions : Gallimard
Parution : Janvier 2019
439 pages
22 €
L’histoire de Yong Sheng n’est pas un roman, c’est l’histoire vraie du grand-père de Dai Sijie, quand le maoïsme se manifeste dans toute sa folie criminelle. La musique des colombes dans le ciel de son village natal n’est qu’un fragile antidote au malheur : tous les rêves de ce jeune chinois s’effondrent au fur et à mesure que s’instaurent la République Populaire et la Révolution culturelle. Interrompu dans ses études de théologie à Nankin, il se retrouve dans un camp de rééducation avant d’être enrôlé malgré lui à la recherche d’une espionne impérialiste qui n’est autre que son ancienne institutrice. Nommé pasteur par sa hiérarchie, il endure les pires souffrances du serviteur de Dieu, trahisons, supplices et sacrifices. Mais dans l’esprit de Yong Sheng la Croix en bois de la paroisse de son enfance reste debout comme l’aguilaire planté le jour de sa naissance, arbre qui possède les mêmes vertus analgésiques que l’Homme crucifié. Bien plus qu’un simple pasteur à oraisons, Yong Sheng est un martyre de la foi et un sauveur d'âmes. Aujourd’hui encore, il incite Dai Sijie à illuminer son triste destin par des fresques en couleurs, des parfums indéfinissables, des concerts de sifflets dans les airs, mais surtout par les versets de la Bible qui lui ont toujours inspiré un don de soi infini. Un demi-siècle plus tard Yong Sheng est toujours vivant et d’actualité. Livre très beau où grandeur et bassesse humaines se croisent… B.C.D.
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2019
20 mars 2019
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« Le huitième soir » par Arnaud de La Grange
Editions : Gallimard
Parution : Février 2019
158 pages
15 €
Cette plongée dans l’enfer de la guerre d’Indochine est un chef d’œuvre littéraire car A. de La Grange ne se limite pas à sa fonction de reporter de guerres ni de simple historien. Observateur des champs de batailles, il l’est aussi de l’âme humaine. Sensible aux paysages grandioses qu’offre la planète, il tente de reconstituer la grande hydre humaine où les individus se ressemblent à bien des égards. Le narrateur, jeune lieutenant de vingt-six ans parachuté au cœur de la bataille de Dien Bien Phu, affirme n’être ni héros, ni patriote. « On se doit d’être là, rien de plus », par solidarité pour ceux qui y sont. Mais cette décision est loin d’être un sacrifice. Il s’est engagé parce qu’il se sentait faible et avait besoin de se dépasser. Alors, comme tout bon soldat, il laisse tout derrière lui, découvre les pluies d’obus sur les corps rampant de ses compagnons d’armes réduits en charpie. Et plus la défaite approche, plus le doute s'accroît. Car le soldat s’enfonce dans cette terre étrangère, s’attache à ses habitants jusqu’à ne plus reconnaître ses ennemis, la mémoire se brouille, « Pourquoi se bat-on? » puisque la liberté est l’enjeu des deux camps ! Et si c’était tout simplement pour battre le non-sens du monde et de l’existence qui donne à la terre un "goût de mort"…Livre émouvant, plein de réalisme, où le rythme de la destruction rappelle paradoxalement celui de la genèse et se transforme en hymne à la vie et à ceux que l'auteur a aimés ...
B.C.D.
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18 mars 2019
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« Prendre la parole » par Alexis JENNI
Les Editions du Sonneur
Parution : Février 2019
76 pages
11,50 €
Le succès ni le temps n’entravent la vocation d’Alexis Jenni dont le souci premier est la transmission. Conscient de la difficulté de l’expression autant écrite qu’orale, ce professeur dévoile en toute humilité le mal qu’il a eu pour parvenir, avant d’être lu, à être écouté et compris. Déjà en 2011, année où il remporta le Prix Goncourt, il tenait à révéler « des trucs qu’on n’apprend pas aux écoles ». C’est en étant d’abord pédagogue que l’enseignant devient démiurge, car pour maîtriser le temps qui échappe à l’angoissé, il apporte l’écriture comme solution d’expression qu’on peut raturer et développer tout à loisir comme la pelote de laine qui s’enroule et se déroule. Les grands responsables du mutisme ? Un sentiment de vide, un moyen de défense, une impression d’enlisement…Et c’est là que le miracle surgit, la voix des livres qui vit, qui nourrit et déborde. Enfin quelque chose à dire, à partager, à rédiger ! Alors Alexis Jenni se lance, avance à tâtons, prend vie, devient disert. Une belle leçon de dépassement qui fait patienter le lecteur jusqu’au prochain livre de ce généreux magicien…
B.C.D.
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28 février 2019
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« Le tour de l’oie » par Erri De Luca
Editions : Gallimard
Parution : Janvier 2019
161 pages
16 €
« Je te parle à toi et non à moi-même », ainsi commence le narrateur qui n’est autre que l’auteur, s’adressant à un fils imaginaire comme s’il avait besoin d’être compris. Monologue intérieur ou dialogue, peu importe. L’intérêt du livre est ce retour sur l’enfance, inévitable quand on n’a pas de descendance, prise de conscience de l’innocence qui s’en va. La vie se découpe alors en stations inévitables comme au jeu de l’oie où l’on jette un dé sans être responsable de son chiffre. Mais point de regrets. Ses engagements politiques ont toujours été dictés par un souci de justice. Point de nostalgie pour une solitude voulue. Avide d’évasion dès le plus jeune âge, il aime communier avec les éléments naturels, joie transmise par son père qui peignait comme lui écrit, pour le plaisir exclusivement et non pour la gloire. Car la discrétion qui incite à « jouer à celui qui existe le moins » finit par révéler non pas une « volonté d’impuissance », mais au contraire une maîtrise de soi qui apporte l’attention aux autres et les fait exister. Ainsi Erri de Luca va bien au-delà de ses intentions : bien plus que « père d’un soir » pour un fils qu’il n’a jamais eu, il se révèle père de tous ses fidèles lecteurs.
B.C.D.
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2019