3 avril 2019
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« L’AUTRE GEORGE A la rencontre de George Eliot » par Mona Ozouf
Editions : Gallimard
Parution : Septembre 2018
236 pages
20 €
Il ne s’agit pas d’une biographie mais d’une promenade de Mona Ozouf dans les romans de George Eliot où se trouve en filigrane une constante qui n’est autre que le poids des préjugés. En effet, quels que soient le milieu social et le lieu géographique où se déroulent les histoires de cette célèbre romancière anglaise, chacun des protagonistes a un lien indéfectible avec son environnement. La similitude avec notre époque ne serait-elle pas la raison pour laquelle Mona Ozouf lui consacre ce livre ? Celle-ci n’aurait-elle pas à cœur de venir nous offrir, si ce n’est un remède, du moins un espoir dans l’imagination créative pour que la femme trouve son épanouissement non pas dans le sacrifice mais au cœur de la société et que l’homme ait le culte du mérite plus que du statut social? Car George Eliot comme ses nombreux personnages a connu, avec la révolution industrielle, un bouleversement non seulement des paysages, mais des cœurs, des mœurs et des fortunes. Ses romans sont toujours l’incarnation d’une idée : à l’éloge des vies ordinaires au sillage invisible mais profond, au passage inévitable par la souffrance personnelle pour découvrir celle des autres, succède un plaidoyer pour délester la vie « des grains durs de l’habitude », rompre la culpabilité qui ronge et le silence des tabous, par une illumination de l’esprit, en un mot donner priorité à l’héritage culturel plutôt qu'à l'acquis biologique et matériel. Mais George Eliot ne tombe pas dans le positivisme à la mode. Sans dénigrer la morale sociale, la romancière tient à montrer les complexités de l’existence et celles de l’être humain : « l’astre troublant » est omniprésent. Elle oscille entre le déterminisme des uns et la chance des autres. En réhabilitant George Eliot, Mona Ozouf veut rappeler cette deuxième chance que tout homme porte en lui : contribuer à l’embellissement de la société par l’accomplissement de sa vocation personnelle et l’harmonisation des êtres entre eux. Très bel ouvrage d'une historienne qui remet au goût du jour les romans de l’ère victorienne…
Brigitte Clavel Delsol
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2018
15 février 2019
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« Au-delà des frontières » par Andreï MAKINE
Editions : Grasset
Parution : Février 2019
268 pages
19 €
Notre époque ne serait-elle plus propice à l’aspiration poétique de Andreï Makine? Telle est la question du lecteur en entamant ce livre où l’auteur bat en brèche un Occident décadent, conciliant un lexique d’intellectuels, de média, de réalisme cru dénudé de toute sensibilité. Le suicide d’un désespéré a déjà eu lieu. Le philosophe Gabriel Osmonde s’est retiré dans le Caucase avant même d’avoir détourné de ses erreurs Vivien de Lynden, jeune polémiste violent, raciste haineux et bien malheureux. Un second suicide menace, celui de Gaia de Lynden, portrait inverse de son fils, victime des modes actuelles et que le narrateur s’est juré de sauver. Mais comment faire face à toutes ces vérités et contre-vérités, ces contrastes entre pays riches et pays pauvres, entre enrichis désabusés et humanitaires abusés? Peut-on croire à cette « alternaissance » prônée par Osmonde qui plaide pour une naissance autre que celles biologique et sociale ? Comment échapper à cette « farce » du progrès qui dénature l’Homme jusqu’à lui enlever son âme et son genre et à ne lui offrir que la peur de la mort ? La solution serait-elle dans un refuge au sein de la montagne caucasienne qui permettrait de « quitter la vie sans avoir à mourir » ? Une pensée rousseauiste dans un monde matérialiste, une décision de poète individualiste à une époque qui se veut humanitaire : A. Makine ne cache plus qu’il y a deux hommes en lui : le narrateur pessimiste et le philosophe serein hors du monde…
B.C.D.
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2018
9 février 2019
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« Les belles ambitieuses » par Stéphane Hoffmann
Editions : Albin Michel
Parution : Juin 2018
265 pages
19,50€
Le monde n’appartiendrait-il qu’aux arrivistes, aux snobs, aux femmes ambitieuses ? C’est ce que pense Amblard Blamont-Chauvry, jeune versaillais de vingt-cinq ans en 1970, énarque, polytechnicien, sorti tout juste du 76e régiment d’infanterie, une « planque » obtenue par piston qui lui donne goût à l’oisiveté. Si Amblard n’a pas d’ambition la comtesse de Florensac sa marraine en a pour lui. S’il ne veut pas du mariage, Isabelle Surgères finira par le convaincre, mais pas pour longtemps. S’il décide de profiter de la vie en optant pour une liaison sans lendemain, la jolie Coquelicot le séduira pour toujours. Plein de sarcasme dans ce livre où politiciens et hommes d’affaires magouillent tandis que les amis d’enfance perdent leur panache, s’accrochant à ce qu’ils ont reçu sans vouloir innover. Comment finira Amblard ? Conseiller d’ambassade à Washington ou héritier du cabinet familial ? Le ton est mordant, l’humour tourne en dérision, et si Stéphane Hoffmann n’est pas le premier à avoir été inspiré par la comédie humaine, il la dépeint avec un triste réalisme tout en réservant au lecteur d’heureuses surprises pour l’avenir …B.C.D.
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2018
5 février 2019
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« Grace » par Paul LYNCH
Editions : Albin Michel
Parution : Décembre 2018
480 pages
22,90 €
A travers le thème de La Grande Famine qui ravagea l’Irlande en 1845, Paul Lynch parviendra-t-il à passer un message d’optimisme? Les détails de la misère portée à son paroxysme ajoutent au réalisme une réflexion inévitable sur la condition humaine en permanence aux prises avec la mort. Et si la très belle écriture de l’auteur ne parvient pas à enjoliver le périple de Grace, elle contribue à faire comprendre les accès de folie, le brigandage et les meurtres quand la terre n’offre aux mendiants que de la neige ou des écorces à manger. Certes la révolte jalonne longtemps l’itinéraire apocalyptique de la jeune héroïne, mais celle-ci finit par voir dans la démence de sa mère, dans la violence des multiples embuscades, jusque dans le dévoiement, toute une symbolique, celle du combat pour survivre par n’importe quel moyen. Heureusement l’humour du petit Colly disparu, le bras protecteur de Bart et la main tendue de Jim, même atrophiés, restent les quelques rares espoirs de solidarité. Grace sortira-t-elle indemne de ce charnier ? Grandie sans doute, mais muette à jamais sur les malheurs des hommes et sur leurs certitudes. "Ces gens-là rendraient Dieu responsable de n’importe quoi. Ils lui imputeraient même le mauvais temps qui s’abat sur le pays,... si bien que Dieu semble absent de l’Irlande. " Livre aussi beau que dur…
B.C.D.
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2018
28 janvier 2019
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« Harry et Franz » par Alexandre Najjar
Editions : Plon
Parution : Juin 2018
190 pages
17,90 €
Franz Stock est un aumônier de la Wehrmacht chargé d’accompagner les prisonniers convoqués à ce que les nazis appellent « la fête sportive » qui n’est autre que la condamnation à mort en série des Résistants et des Juifs au Mont-Valérien. Celui-ci se trouve bien impuissant, n’ayant que ses prières pour alléger tant de barbarie. Le jour où il rencontre, lors de ses visites à la prison Cherche-Midi, le célèbre acteur de cinéma Harry Baur torturé par les nazis sous prétexte d’être juif, le prêtre se transforme en enquêteur et avocat. Il s’agit pour lui de prouver que ces accusations ne sont fondées que sur de fausses informations, les rumeurs se propageant comme des virus. L’ouvrage, écrit avec une plume décidée, parvient à exprimer par l’usage d’antonymes l’écart abyssal entre l’enfer terrestre et un paradis promis que même un saint prêtre ne peut combler. Rien n’est inventé et si Harry Baur garde une renommée de grand acteur qui fut la cause même de sa dénonciation par des collègues jaloux de sa carrière, il demeure le symbole des martyrs de la folie humaine que l’auteur n’a de cesse de dénoncer.
B.C.D.
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2018
31 décembre 2018
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« Dix-sept ans » par Eric Fottorino
Editions : Gallimard
Parution : Octobre 2018
263 pages
20,50 €
Ce livre est un parfait exemple de la résilience selon Boris Cyrulnik. Eric, le narrateur est un enfant né hors mariage qui a toujours eu du mal à comprendre sa mère jusqu’au jour où celle–ci lui révèle ne s’être jamais remise d'une éducation psychorigide qui lui imposa un avortement d’une petite-fille née après lui. Alors l’auteur-narrateur met en scène cette jeune-fille de dix-sept ans, qu’il n’a jamais appelée maman mais Lina, trop jeune pour enfanter et surtout pour être abandonnée successivement par deux hommes qu’elle aima en toute innocence. Ce roman, autobiographique ou non, reste prétexte à révéler ce qu’un enfant ressent sans jamais comprendre : l’autoritarisme du matriarcat encouragé par une église caricaturée. Heureusement l’histoire demeure très belle, le narrateur met ses pas dans ceux de sa mère exilée sciemment d’un voisinage suspicieux. Plus que jamais le visage voilé de tristesse de sa mère rejaillit devant ses yeux tandis qu’il erre dans le Nice où il naquit. Des rencontres impromptues, des découvertes de bonnes actions qui compensent des erreurs inexcusables permettront-elles à Lima de pardonner et à Eric de retrouver sa propre identité qui lui a été volée ? Car c’est la complexité humaine que dépeint ici Eric Fottorino, cet enfer pavé de bonnes intentions quand les préjugés passent avant l’amour maternel…
B.C.D.
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2018
24 novembre 2018
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« La révolte » par Clara Dupont-Monod
Editions : Stock
Parution : Août 2018
242 pages Celui-ci nous fait découvrir la bonté
1850 €
Aliénor d’Aquitaine a inspiré plus d’un roman. Mais qui mieux que le fils préféré peut parler de sa mère? C’est le pari que fait Clara Dupont-Monod en confiant sa plume à Richard Cœur de Lion. Un style intimiste magnifique vient renforcer le romanesque sans porter tort à la véracité de l’histoire. Car la psychologie de chacun des personnages historiques est révélée avec art et justesse. La piété excessive du roi de France, premier mari d’ Aliénor, opposée à l’esprit de conquête du roi d’Angleterre, le père de Richard, sont en effet bien la cause première non seulement du divorce d’ Aliénor préférant un guerrier à un moine mais surtout de « la première guerre de cent ans ». Aliénor comprenant vite l’erreur de son choix ne ploiera jamais. Richard la montre telle qu’elle fut : qu’elle soit chef de guerre ou prisonnière, elle reste toujours reine. L’auteure ne s’arrête pas là, ajoute les aveux et les regrets des protagonistes comme pour montrer l’éternel humain, à savoir la rivalité des époux qui se ressemblent, ce fanatisme guerrier qui mène à la ruine et surtout « l‘histoire de toutes les mères à la fierté inquiète, qui firent de leur mieux, sûres de vaincre les tragédies ». Très beau roman historique qui donne envie d’aller se recueillir à l’abbaye de Fontevraud où reposent cette femme trois fois reine, ce Plantagenêt qui aima la France bien maladroitement et ce fils bien nommé, au cœur de lion…
B.C.D.
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2018
19 novembre 2018
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« Concours pour le Paradis » par Clélia RENUCCI
Editions : Albin Michel
Parution : Août 2018
266 pages
« Concours pour le Paradis » est un bien beau voyage dans la Venise éternelle. Le 20 Décembre 1577 le Palais des Doges brûle et il s’agit de restituer à la Salle du Grand Conseil l’immense toile du Paradis qui a toujours fait la fierté de la ville. Alors Clélia Renucci ouvre les portes des bureaux des serviteurs de la république comme celles des ateliers des peintres où chacun a ses idées, ses prétentions, ses faiblesses, son destin. Un souci politique entre une réhabilitation mariale ou laïque fait osciller le grand doge et ses conseillers qui ont bien du mal à s’entendre sur le nom des lauréats du concours pour mener à terme ce projet. La querelle entre les partisans du colorito vénitien contre le desegno florentin aiguise de nouveau la rivalité des artistes. L’esprit de concurrence se transforme en jalousie entre Jacopo Tintoret et Véronaise l’étranger, détruit l’amitié du jeune Domenico Tintoret et Francesco Bassano, s’immisce jusque dans le cœur des égéries, sans parler de la suspicion de Rome, l’inquisitrice de la Sérénissime. La prouesse de l’auteur est d’être parvenue à rendre les honneurs à qui de droit et brosser à merveille les techniques de cet art qui font éternellement rêver des toiles vénitiennes. Livre à mettre dans ses bagages pour Venise ! B.C.D.
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2018
17 octobre 2018
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« Nuit sur la neige » par Laurence Cossé
Editions : Gallimard
Parution : Juin 2018
142 pages
13,50 €
Comment ne pas céder à un si joli titre dont le clair obscur accompagne Robin et Conrad du début à la fin? Le cadre est celui de l’entre-deux guerres, de la montée du fascisme et du Front populaire, tandis que les examens, l’amitié et l’amour semblent être prioritaires pour ces deux étudiants de la Prépa des Jésuites de Verbiest. Mais ceci n’est qu’une apparence. De même la beauté des montagnes comme celle de Clarie peuvent être un leurre. La menace de la mort est toujours existante. Un père a été tué à la guerre, un cousin est appelé sous les drapeaux, le nazisme avance. Chacun réagit à sa façon, Conrad avec réalisme, Robin avec naïveté. La transformation d’un petit village de montagne inconnu, du nom de Val d'Isère, en station de sports d’hiver laisse espérer une ère nouvelle. Mais pour combien de temps ? Livre aussi divertissant qu’un joli film car les images sont fortes et les personnages secondaires aussi attachants que les deux protagonistes.
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2018
9 octobre 2018
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« A son image » par Jérôme Ferrari
Editions : Actes Sud
Parution : Août 2018
220 pages
19€
Reporter de guerre avant d’être écrivain, J. Ferrari fait de la photo le centre de son roman comme Antonia photographe en fait le centre de sa vie. Tous deux sont passionnés par la capture de l’instant, mais obsédés aussi car les conséquences de la photo fixent l’image à tout jamais. Dès sa jeunesse Antonia ne quitta plus son appareil, non pas pour capter les fleurs et les animaux de sa Corse natale, mais des visages d’hommes, comme celui horrifié d’une femme encerclée par un incendie, au grand dam de ses parents. Et là est le cœur du livre. Pour gagner sa vie Antonia ne peut se résoudre à être simple photographe des fêtes de village. Comme le jeune prêtre chargé des obsèques de sa nièce est partagé entre un rituel liturgique et un débordement d’émotions bien légitimes, Antonia est déçue par l’attitude de ses amis d’enfance, indépendantistes cagoulés qui jouent aux héros. Alors, lasse de tant de faux-semblants, elle part « couvrir » la guerre dans les Balkans. Mais pourquoi ne divulguera-t-elle jamais ses reportages ? Telle est la question soulevée par J. Ferrari. Comme la liturgie ne fait qu’un avec le prêtre, la photo est indissociable du photographe. En découvrant les horreurs des bourreaux, Antonia, la révoltée qui n’avait pas la foi, découvre le sacré dans la victime de guerre. Alors elle se tait à tout jamais …Livre intéressant où l’esprit torturé de l’auteur finit par reconnaître la supériorité du silence à l'expression désordonnée des sentiments!
B.C.D.
Published by brigitte clavel-delsol
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2018