16 janvier 2025
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« JACARANDA » par Gaël FAYE
Editions : Grasset
Parution : Août 2024
282 pages
20,90 €
Prix Renaudot 2024
Tout commence en 1994 par la guerre au Rwanda que Milan, un petit parisien dont la mère est rwandaise, découvre à la télévision. De ce fait le style est simple, sans ambiguïté aucune. L’enfant veut comprendre, tandis que sa mère se referme dans un douloureux silence. Mais chacun d’eux, replacé dans le courant de l’histoire, va conserver son autonomie, l’un persister dans ses questionnements, l’autre dans sa volonté d’oublier. Milan n’aime pas grand-chose à part la musique pop, jusqu’au jour où il part au Rwanda et où il ne cessera de retourner. On assiste à toute une série de destinées individuelles qui vont s’entrecroiser malgré elles. Que ce soit le jeune oncle Claude, le dénommé Sartre, protecteur des orphelins, amoureux de littérature, Alfred le militaire qui rêve de faire du théâtre, la vieille Rosalie profondément chrétienne, Eusébie l’ énergique avocate, la jeune Stella fragilisée à jamais par la mort de ceux qu’elle aime, ou Milan lui-même. Tous ont un lien indéfectible avec cette terre meurtrie qu’ils ne vont cesser de panser, chacun à sa façon, même si on vit dans la défiance. C’est pourquoi, on ne peut pas résumer « Jacaranda ». Les uns remontent le temps pour tenter de comprendre l’Histoire. D’autres rouvrent les charniers, exhument, commémorent. Certains s’enferment dans le mensonge, hantés par la honte. Il y en a qui crient vengeance et finissent par pardonner. Non seulement Milan revient à Kigali, mais il y trouve sa raison d’être. Tout l’y retient, les fleurs bleu lavande du jacaranda, la bière à la banane, la musique, les danses, le culte des livres. « On ne peut pas comprendre qui on est si l’on ne sait pas d’où l’on vient ». Très joli récit où chacun des protagonistes a son secret pour tenter d’adoucir le goût amère de la guerre. B. Clavel Delsol
Published by brigitte clavel-delsol
14 janvier 2025
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« Le roitelet » par J-F BEAUCHEMIN

Editions : Gallimard et Poche
Parution : 2023
192 pages
Une remise en cause de l’art par son jeune frère schizophrène, las des confusions de son siècle, influence J-F Beaumarchin. « Tu devrais écrire un livre dans lequel rien n’arrive » est le conseil du cadet à son aîné qui va, par amour pour lui, se métamorphoser en poète. Dorénavant il décrira des êtres sans préjugés ni masques, seulement des états d’âme qui épousent le mouvement des nuages ou le balancement des arbres, à tel point que la relation fraternelle se renforce. La description de l’invisible apaise le jeune cadet, tandis qu’elle inspire toujours plus l’écrivain et lui fait mieux comprendre la richesse indicible d’un être trop fragile, en proie à des émotions trop fortes. Alors le spécialiste des mots devient le médecin de l’âme, soulage l’angoissé, se déleste du superflu pour regarder dans la même direction que lui, jusqu’à découvrir la paix intérieure et la propager à ses lecteurs. Très joli livre où les plus petits souvenirs de l’enfance retrouvent leur place et donnent à la vie son vrai sens. B. Clavel Delsol
Published by brigitte clavel-delsol
14 janvier 2025
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« Va vers toi-même » par Anne Roux
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Editions : Peuple Libre
Parution : Août 2024
250 pages
18,50 €
« Va vers toi-même », un titre qui interpelle surtout quand on découvre où Anne Roux amène son lecteur. Une quête de notre identité d'homme, dissimulée au début de son ouvrage par un humour semblable à celui de Saraï vis-à-vis des aléas de l’existence, l’amène au point culminant de la croyance où Dieu se fait Homme pour sauver les hommes. Sans doute veut-elle partager les clés d’un certain épanouissement sous le regard divin sans que l’être humain se sente frustré, mais bien au contraire libéré. Que ce soit Abram ou Moïse dans l’Ancien Testament ou Simon Pierre ou l’aveugle miraculé du Nouveau Testament et bien d’autres exemples encore, l’identité la meilleure n’est pas celle qu’on s’efforce de fabriquer à la force du poignet mais plutôt celle qui se coule dans l’amour du Père. L’erreur de Judas n’était-elle pas de vouloir maîtriser les évènements, à savoir libérer Israël des Romains, ce qui n’était pas l’objectif du Christ ? Peu importe le sentiment d’exclusion ou de solitude. Jésus lui-même est passé par le Désert et la Crucifixion non pas par soumission mais par l’intime connaissance d’un père de même nature, connaissance qui relève plus de l’expérience que du savoir et qui aboutit à la Résurrection. Selon l'auteure, avoir foi dans le Verbe qui se fait Chair, c’est sortir de soi, c’est aimer l'Autre et le sauver en même temps que soi. Livre empli de références évangéliques et théologiques qui mènent toutes à la même conclusion: «l’extraordinaire de la Résurrection vient à notre rencontre sur les chemins ordinaires de la vie ». Une belle leçon de vie…
B. Clavel Delsol
Published by brigitte clavel-delsol
8 janvier 2025
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20:15
« ARIA » par Nazanine Hozar

Editions : Stock
Parution : 2020
517 pages
24 €
Pour Nazanine Hozar, iranienne d’origine, l’histoire de l’Iran est une source inépuisable d’inspiration. Dans les années 1950 Téhéran souffre. La richesse du quartier nord de la ville contraste avec la pauvreté de celui du sud. La question récurrente est de savoir si les mollahs sont des anges ou des démons. S’il faut suivre le livre vert de Khoméni ou le livre rouge de Mao. Si la révolution blanche du Shah n’est pas au détriment de l’influence de l’islam. Aria ne serait-elle pas à elle seule l’allégorie des contradictions internes de ce pays ? Peu lui importe si elle est maudite à cause de ses yeux bleus et ses cheveux roux, si elle a une mère biologique inconnue, victime des préjugés ancestraux, et deux mères adoptives successives, Zarah l’impitoyable sans-cœur, et Fereshteh la silencieuse qui connaît tous les mensonges de la vie. Ce qui compte selon elle c’est d’être maître de ses pensées, de choisir entre ce qui est mauvais et ce qui est bon. Et Aria choisit, réfléchit, suit son intuition, va comme l’auteure d’un personnage à l’autre, qu’il soit juif, musulman, chrétien ou zoroastrien, trouve dans la plus grande des tourmentes la force de donner sans contrepartie comme ceux qui l’ont aimée et qu’elle voudrait insuffler à tous les Iraniens. Un bien joli roman dans un contexte historique très réaliste.
B. Clavel Delsol
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2020
15 décembre 2024
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« La Petite Bonne » par Bérénice PICHAT
Editions : Les Avrils
Parution : Août 2024
267 pages
21,10 €
Deux femmes que tout oppose, deux styles d’expression, des vers libres très brefs qui courent à toute allure vers l’inévitable et une prose lente et descriptive qui ne cesse de réfléchir au meilleur: une petite bonne et une bourgeoise face à une gueule cassée, autrefois pianiste prometteur auquel il ne reste que des moignons à la place des pieds et des mains suite à la bataille de la Somme, aisément transposable aux guerres contemporaines. Sur ses genoux un pistolet que ses pinces n’arrivent pas à manipuler. Tandis que la Petite Bonne reste à ses côtés, Madame part un week-end à la campagne . Pendant que l’une découvre la superficialité de ses amis, l’autre se bat contre la répugnance de Monsieur pour lui redonner goût à la vie qu’elle-même a perdu. Car tous souffrent, lui dans son corps, les deux femmes dans leur âme meurtrie. Alors quand Madame revient, on tremble devant l’éclat d’une éventuelle jalousie. Très joli livre où une une fois de plus un beau Requiem suffit à apaiser les pires maux de l’humanité…
B. Clavel Delsol
Published by brigitte clavel-delsol
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2024
9 décembre 2024
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"LE SECRET DE L’EMPEREUR"
par Amélie de Bourbon Parme
Editions Folio
356 pages
1ère parution : 2017 chez Gallimard
Comment Amélie de Bourbon Parme parvient elle à nous mettre en haleine durant cette retraite de Charles Quint ? Certes les couleurs caravagesques de ses descriptions forment à elles seules une fresque somptueuse de la Couronne des Flandres et d’Espagne. Mais Charles Quint a décidé de tout quitter. Las d’un long règne de conquêtes, souffrant des brumes du Nord et de quelques repentirs, il veut trouver chaleur et paix dans l’abbaye de Yuste, au Sud de son Espagne natale. Projet bien prometteur pour un empereur démissionnaire ! Mais une cruelle réalité va malheureusement le rattraper. Plus que les désillusions politiques et les douleurs physiques, une obsession l’assaille. Le seul trésor royal auquel il reste attaché est sa collection d’horloges astronomiques , dont l’une lui fait soudain défaut. En effet la plus rustique de toutes, sans la moindre pierre précieuse pour affiner la lourdeur de son cadre noir d’ébène, contient un mécanisme incompréhensible tout en révélant une inscription: « le soleil ne se couche jamais ». Qui en est l’auteur et pourquoi les Inquisiteurs eux-mêmes le recherchent ? La maîtrise du temps ne serait-elle qu’un leurre ? Et si la paix de l’âme n’était que dans cette quête de la vérité et dans l’humilité du mystère ? Le lecteur abandonne peu à peu Charles Quint comme celui-ci abandonne la vie quand il l’a enfin comprise…
B. Clavel Delsol
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2017
22 novembre 2024
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« Ton absence n’est que ténèbres »
par
Jon Kalman Stefansson
1ere parution : Grasset : 2022
Editions : Folio 2024
589 pages
Dommage que le mémorialiste d’une telle généalogie soit sans mémoire : il aurait aidé le lecteur à se retrouver plus aisément dans ce roman familial labyrinthique. Heureusement il sait lire dans les cœurs islandais érodés comme les fjords et élucide avec succès les mystères de l’existence. « Est-ce maturité ou manque de courage de se résoudre à son destin ? » C’est le temps qui apporte la réponse, lui seul qui permet à l’œuvre d’exister. Tandis que le style poétique de Stefansson hypnotise le lecteur, les évènements extérieurs détournent ses personnages de leur direction initiale. Le fermier veut philosopher, la fiancée rejoindre un inconnu, l’épouse effacée devenir une scientifique reconnue, l’enfant illégitime percer le mystère d’un père volage, tandis que le pasteur se morfond d’être malheureux dans le bonheur. Serait-ce trahison d’écouter son cœur, de s’écarter de sa route ? Le fjord est pauvre, le cheptel pas rentable, mais l’antique rêve islandais reste obsessionnel : être indépendant. Et si certaines vies sont monotones comme les poteaux d’une clôture, l’auteur ne dément pas que « ce sont ceux-ci qui soutiennent tout ». N’est-ce pas le cas des grands-parents d’Eirikur qui sauront le choyer comme il se doit ? Mais le chemin vers la lumière comporte des ombres à traverser et la mélancolie n’est plus que le souvenir des bonheurs disparus. Le rythme du livre est un incessant aller-retour entre le rêve de jeunesse et la cruelle réalité, entre l’ivresse de la vie et une tristesse indélébile, entre l’amour et le mensonge, entre les souvenirs les plus coosy et une vie décousue, entre sociabilité ou solitude, entre musique ou silence. « Parce que le paradoxe a toujours été l’un des piliers de l’existence humaine ». Une fois l’âge avancé, la mélancolie transperce, tendue, fragile, inassouvie. Le sentiment d’avoir trahi ceux qu’on aime fait couler des « colonnes de larmes ». Alors il ne reste plus qu’à « lever les yeux vers les cieux » pour apitoyer la Camarde au son de multiples chansons ou se réconforter avec un mansaf, car « on a le droit d’être nostalgique, mais on ne doit pas oublier de vivre ». Ainsi le lecteur s’enfonce dans un roman plein d’imprévu, un véritable plaidoyer pour les forces profondes et cachées du libre arbitre. B.C.D.
Published by brigitte clavel-delsol
29 mai 2024
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“L’or des rivières” par
Françoise CHANDERNAGOR
Éditions : Gallimard
Parution: Avril 2024
300pages
21 €
C’ est à la Creuse qui accueillit sa famille maternelle, que Françoise Chandernagor consacre ce livre là où, dit-elle, « nous étions riches de biens « immatériels ». » Les allers et retours sont alors incessants entre la poésie et la peinture des paysages, entre le ressenti et la réflexion, entre l’héritage solide du passé et la fragilité du présent. Car si la Creuse n’est pas un Eldorado, elle est « une île secrète, refuge suprême », où l’on s’abandonne avec confiance pour être plus lucide sur les temps qui courent. Françoise Chandernagor n’ignore pas les différends entre Paris et la province profonde, ni la colonisation des zadistes, ni les illuminations des vegans. Elle est consciente des superstitions qui s’abolissent d’elles mêmes comme les modes de déboisement et la réputation pluvieuse de cette province profonde. Si la Creuse se révèle prude et accueillante pour les marginaux de toutes sortes, ses paysans dénoncent “les saigneurs de la terre” et déplorent la mondialisation. « Ils n’ont qu à rester chez eux, et nous chez nous!» disait déjà le grand-père de l’auteure. Mais Françoise Chandernagor ne s’arrête pas là. En voulant rendre hommage à son père elle explore sa généalogie où la fierté du sang rejoint l’authenticité de son cœur aimant . Ce roman idéaliste, où les vraies valeurs triomphent, s’achève avec la lucidité et la sagesse que seul apporte un âge avancé, celui qui sait que rien n’est éternel, sauf le souvenir d’une maison gagnée à la sueur de son front et la tendresse d un mari bien aimé .
B. C. D
Published by brigitte clavel-delsol
23 mai 2024
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« Le miracle de Théophile » par Jérémie DELSART
Editions : Le Cherche Midi
Parution : Mars 2024
397 pages
22,50 €
Cette satire de l’enseignement actuel a le grand avantage d’offrir au lecteur une perspective toute spirituelle et ce, paradoxalement, grâce au diable lui-même. Le stagiaire Théophile de Saint-Chasne est stigmatisé comme réactionnaire dans l’ « Education pour Tous » et son malaise est bien justifié. En permanence soumis à des inspections, à des conseils d’une tutrice et à des récriminations d’une proviseure, cet esthète a bien du mal à imposer sa passion pour la littérature. Peu importe, il fait le serment de ne pas renier son idéal, convaincu que seules les Lettres peuvent sauver la jeunesse de leur léthargie, de leur langage elliptique jusqu’à la vulgarité, de leur obsession égalitariste qui se concrétise avec l’écriture inclusive. Voilà où se cache le diable et Théophile est le seul à s’en apercevoir. Quand Lucifer se manifeste en bel Andalou aux dents immaculées et aux effluves de girofle, il envoûte le corps professoral. Théophile saura-t-il le reconnaître à temps pour lui résister ? Tel est le défi de Jérémie Delsart doué d’un style des plus diversifiés, de connaissances éclectiques , et d’une telle foi qui parviendra peut-être à dérouter Lucifer! Malgré ses sarcasmes et ses excès , ce pamphlet défend un possible retour en arrière pour redonner goût à la beauté littéraire. Livre très intéressant où la personnification du diable est certes un peu naïve mais symbolise à merveille les tentations déguisées de la facilité.
Brigitte Clavel Delsol
Published by brigitte clavel-delsol
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2024
17 mai 2024
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« Les amours difficiles » suivi de « La vie difficile »
par Italo CALVINI
Editions : Folio
340 pages
1ère parution : 1970
Les protagonistes de ce livre d'Italo Calvini sont teintés de tant de réalisme que leurs attitudes ingénues font passer au lecteur un moment de divertissement sans pareil. Treize nouvelles, regroupées sous le titre « Les amours difficiles », offrent un comique de situation où une série d'aventuriers inénarrables entremêle maladresse à force d’inquiétude et d'insatisfaction, incompréhension à force de vouloir paraître, excès d'audace pour cause de timidité, en un mot souffre d'une incapacité de communication. Alors les amours sont bien impossibles, un sentiment de grotesque gâche le bonheur éphémère sauf quand on retrouve un vieil ami ou un employé dans le même embarras que soi. Puis deux novellas, entre nouvelle et roman, où la difficulté ne vient pas du protagoniste mais de "la vie difficile". Comment ne pas devenir fou devant une invasion cauchemardesque de fourmis alimentée par une organisation sensée les faire disparaître ? Comment ne pas être désespéré devant la lâcheté d’une majorité qui se camoufle derrière ses volets, devant les obsessions climatiques des uns et le déni des autres ? S’il est dur d’aimer, il est dur d’être heureux pour Italo Calvini. Il n ’est plus le jeune italien qui se battait contre le fascisme et s’alliait aux communistes. Il est l’écrivain même qu’il décrit dans « L’aventure d’un poète », cerné par un besoin d’aligner des mots sans fin , jusqu’à ce que sa feuille devienne noire d’écriture, noire comme le monde où il vaut mieux rire que pleurer.
Brigitte Clavel Delsol
Published by brigitte clavel-delsol
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1970