Par sa résistance à la Terreur, Lyon a inspiré plus d’un écrivain. Suite aux beaux romans historiques « Un mariage à Lyon » de Stéphane Zweig et « Le fleuve guillotine » d’Antoine de Meaux, vient de paraître celui de Gerbert Rambaud. Un travail assidu à partir d’archives municipales ou familiales précieusement gardées s’ajoute à une sensibilité toute spécifique de l’auteur pour cette France provinciale qui souffrit de la Terreur autant qu'à Paris. Car en 1793 les révolutionnaires n’épargnèrent ni la Bourgogne, ni Lyon, ni le Forez, ni l’Auvergne. Mais la résistance y fut grande et courageuse face aux mandats d’arrêt de Robespierre et la haine des riches de Robert Chalier. Ce sont ces hommes et femmes, aristocrates, bourgeois ou paysans, que veut ressusciter G. Rambaud , véritables héros trop méconnus face aux sans-culottes qui se battaient avec plus de haine que de raison. Car que reprocher à la châtelaine d’Epoisse si ce n’est sa lignée aristocratique à laquelle elle n’avait jamais failli et à Victoire de Montmorin sa liaison avec Michel de Trudaine , dont les pères respectifs étaient ministres de Louis XVI ? Le style est aussi alerte que les protagonistes, comique quand l’ancien député François de Colomb, caché dans les collines du Pilat, échappe aux griffes de Claude Javogues «un sinistre sanguinaire». Mais le plus bouleversant restent les mémoires, faits et gestes de tous ces humanistes comme Isaac Coste et ces libéraux modérés comme Joseph-Antoine Rambaud ou Jean-Ambroise Maisonobe, qui, par leur sens du travail, leur réussite et leur attachement à leur famille, attisèrent malgré eux la jalousie des révolutionnaires. Cette fresque vivante saura séduire les amoureux de l’histoire de la France profonde.
« Il s’agit d’un roman hybride », en tout cas opportun, sous forme de suite de souvenirs en images, qui viennent et reviennent, de tergiversations obsessionnelles de Palestiniens et Israéliens qui souffrent des attentats, des emprisonnements humiliants, des crimes de guerre. Bassam et Rami, las d’être ennemis, finiront par devenir frères . Chacun d’eux a perdu une enfant : Abir par une balle perdue à un check-point israélien, Smadar par une bombe lors d’un attentat palestinien. Les évènements se succèdent par touches, comme des projectiles inévitables. Comme un disque rayé, la mémoire des deux hommes fait des allers retours entre les moments heureux et malheureux. Pardon et désespoir se percutent. Rami a fait la guerre du Kippour, Bassam fut prisonnier pendant sept ans. Le style est haché, les paragraphes sont décousus. Existe-t-il un remède au destin ? A plusieurs reprises les oiseaux migrateurs semblent apporter un peu d’espérance, mais eux aussi sont proies de la violence. La cruauté n'a pas de limites. Des photos jaillissent pêlemêle sous les yeux du lecteur: le funambule franchissant la vallée de la paix, l’Intifada, la nuit des deltaplanes, le mur de la honte, l’opération puzzle, la puanteur du Skunk, la grenade à flash. Jusqu’au jour où Bassam et Abir se retrouvent à l’hôtel Everest, à deux minutes du Mur, afin d’organiser l’association des « Combattants pour la paix » : « ça ne s’arrêtera pas tant que nous ne discuterons pas ». Qui colonise l’autre ? La violence des uns n’est-elle pas provoquée par les autres ? Quelques années plus tard ce sont les frères d’Abir et Smadar qui prennent la relève : « la seule vengeance c’est de faire la paix » tandis que leurs pères respectifs, le Palestinien étudiant l’Holocauste et l’Israélien hostile à l’Occupation, traversent l’Allemagne, l’Amérique, l’Italie pour rappeler que le passé façonne le présent, que « se souvenir est le contraire de ne jamais oublier »… Malgré son apparence décousue, livre magnifiquement écritau service de la paix au nom du bonheur universel. Utopie ou espoir ?
Montrer l’évolution spirituelle de Rainer Maria Rilke est le but de ce recueil de Gérard Pfister. Cinq correspondances de Rilke présentées par ordre chronologique permettent de mieux comprendre la pensée de ce poète marqué par la Grande Guerre, révolté par « ce Dieu déchaîné qui dévore les peuples ». « Et pourtant, pourtant …dans l’individu, que d’espoir, toujours et encore, que de réalité, de bonne volonté, de richesse ! » Alors Rilke tâtonne, sans guide intellectuel, réticent à la bigoterie maternelle et à une éducation sclérosante. « Nos lois sont restées en arrière pendant que la vie courait. » Le solitaire se réveille, « Nous sommes gens de labeur… ». A nous de « bâtir Dieu » ! Mais bien vite la religion du devoir et du renoncement n’a pas sa place. Il faut plutôt « Prendre bien en mains l’Ici-Bas », ne pas exclure l’amour charnel de l’amour spirituel, ni la mort de la vie, ni la fragilité de la beauté, ni la présence de l’absence. Car Dieu est un Dieu d’ici. Quelle stupidité de vouloir nous détourner vers un au-delà ! La cité des papes d’ Avignon comme bien des cathédrales ne reposent elles pas sur l’effigie de divinités grecques ? Les vieilles églises n 'ont-elles pas comme décoration le laid et le beau, l'ange et le diable, au milieu desquels réside l'homme, " le seul vrai et le seul réel" ? Car "abeilles de l'Invisible, nous butinons éperdument le miel du visible, pour l'accumuler dans la grande ruche d'or de l'Invisible". Texte magnifique où la foi prend la direction du cœur, de la vie, du Tout en Un et de l'Un dans le Tout.
« La décision, c’est notre histoire »… Mais notre histoire nous appartient elle vraiment? Tel est le thème de ce livre plein de réalisme sur cette génération des années d’après-guerre où l’envie de vivre et d’être libre se heurte bien souvent aux exigences de l’existence. Car il faut travailler dur comme Irène quand on épouse un homme par amour qui fait des allers retours sans jamais tenir compte des contingences de la vie. Sa fille Arlène a de l’ambition : être ingénieur dans le nucléaire, même si l’homme qu’elle croit aimer est un pacifiste notoire, même si ce métier est exclusivement réservé aux hommes. Sa force intérieure viendrait elle de ses amis d’enfance, où l’amitié et l’amour se confondaient, où l’appartenance à la classe sociale importait peu, où l’éducation rigide était remise en cause ? La course aux diplômes ne convient pas à tous, Thomas le poète ne trouve pas sa place dans cette société où seule compte la réussite, et Daniel le saint cyrien ne tient pas cas de sa fragilité en envisageant une carrière militaire. Seule Arlène persiste dans sa voie, mais la chance ne la gâte pas plus que les autres. Alors « A Dieu vat » ! La vie est comme le nucléaire, elle peut assassiner comme elle peut sauver. « Partir tous les deux » est une tentation fréquente , mais les enfants sont là, malheureux devant les tiraillements pour ne pas dire l’égoïsme des adultes. Jean-Michel Guénassia parvient avec légèreté à soulever les problèmes sociétaux à travers un roman où chaque personnage est attachant, qu’il soit volontariste ou velléitaire, indépendant ou généreux, respectueux ou dénonciateur de secret d’Etat. Le bonheur semble fragile, l’homme une bouée à la mer avec, pour seul recours, ce leitmotiv « A Dieu vat » …Le lecteur appréciera le sens de l’observation de l’auteur, son aptitude à multiplier les différentes situations et surtout son style plein de sensibilité psychologique.
Tout le roman tourne autour de la Pieta Vitaliani. Cette sculpture dérobée à la vue de tous tant elle causa de troubles partout où elle fut exposée, est maintenant dissimulée dans les soubassements de l’église de Pietra d’Alba, petit village du Piémont. Avant de la découvrir, le lecteur traverse toutes les embuches, les espoirs déçus, les souffrances de son créateur. Celui-ci se fait appeler Mimo, bien que baptisé sous le beau nom prémonitoire de Michelangelo Vitaliani. Le nanisme dont il souffre est heureusement compensé par ses dons de sculpteur hérités d’un père mort à la guerre mais dont il ressent l’influence quand il taille la pierre. Son histoire est liée à celle de Viola Orsini née sous les plus heureux auspices. Elle a la beauté, l’intelligence, la richesse, la volonté de tout savoir, tout connaître, tout maîtriser. Mimo n’a ni sa beauté, ni sa richesse, ni sa culture. Où veut en venir l’auteur qui passe allègrement sa narration d’un moine mourant à un nabot traînant dans la fange de Florence ou de Rome où il revient un jour en grand seigneur car, dorénavant célèbre, tout le monde s’arrache ses sculptures? Longtemps protégé des Orsini, ardents arrivistes auprès du saint Siège et des chemises noires de Mussolini, Mimo saura-t-il garder sa grandeur d’âme et toute sa liberté de penser ? Lui qui réalisa un Saint Pierre aux traits pleins de douceur et fragilité, édifiera-t-il la statue de "l’Homme nouveau" commandé par un régime totalitaire qui interne ses vieux amis juifs ? J-B Andrea parvient à faire une œuvre d’art en faisant d’un nain un grand homme tout en entremêlant les passions politiques et amoureuses. Son romantisme, plein de contrastes comme l’âme de ce sculpteur, est teinté d’une mélancolie qui n’empêche pas la victoire de l’amour sur la mort. Prix Goncourt bien mérité, car si Vitaliani n’a pas existé , il demeure la main de l’éternel divin créateur.
Ce livre de Marianne Chaillan a vite fait d’effacer le moindre coup de blues amoureux. Ses références philosophiques, littéraires et poétiques témoignent de cet éternel engouement pour la passion amoureuse. Certes l’auteure ne cache pas son aversion à tout concept moralisateur dans l’amour, à tout jugement, à tout sentiment d’échec, à toute capitulation devant les difficultés qu’Eros peut engendrer. Car l’important est le dynamisme que celui-ci engendre, le réveil de sa propre chair comme celle de l’autre, où immanence et transcendance semblent se rejoindre. A-t-elle a raison de mettre sur le même plan homosexualité et hétérosexualité, désir et amour ? A-t-elle raison d’omettre complètement les séquelles collatérales qui touchent les enfants, fruits d’une union déchirée ? Certes elle insiste à juste titre qu’aimer c’est vivre. Les passions sont le moteur vital de l’existence et quand bien même elles apportent souffrances et désillusions elle permettent avant tout la réalisation de soi en dépassant les épreuves, en persévérant, en s’aventurant joyeusement dans un inconnu plein de promesses. La professeure ne décourage pas ses élèves, elle les incite à saisir à bras le corps cette vie tumultueuse qui ne passe qu’une fois , à vibrer au moindre souffle de l'être aimé et à faire son bonheur …Livre intéressant plein de gaieté, d’optimisme et d’allant, qui incite à sortir de bien tristes impasses et à croire en l'amour…
« Il faut être parfois des héros pour rester dans l’opposition ». Plus qu’une biographie d’historien c’est un hommage que rend Evelyne Janet-Vendroux à Jacques Piou. Politicien malheureusement trop souvent ignoré aujourd’hui, celui-ci voua sa vie à apporter une inspiration chrétienne à la Belle Epoque qui précéda la Grande Guerre. Sortir les catholiques de leur torpeur afin qu’ils ne soient pas acculés à une république anticléricale, tel était son but. Car un vent de radicalisme et de franc-maçonnerie soufflait et ne pas réagir c’était trahir. Alors il innove un programme, rompt avec le nationalisme et la monarchie, s’oppose à l’union du trône et de l’autel, opte pour les libertés individuelles, religion et modernité démocratique allant de pair. « Un pionnier du ralliement », dira-t-on de lui, « un fondateur charismatique » confirme Evelyne Janet-Vendroux. Humaniste réformiste il fait preuve d'une véritable acuité politique, dénonce l'augmentation de la bureaucratie et la diminution du budget des armées. Il accuse « un Etat tout à la fois providence, patron et fournisseur ». Son groupe d’opposition est devenu un vrai parti politique, l’Action Libérale Populaire, représenté par de nombreux comités dans toute la France. Mais les inventaires s’instaurent, les biens du clergé sont réquisitionnés , monastères et écoles privées fermés, la Séparation de l’Eglise et de l’Etat a lieu. J. Piou ne renonce pas à sa liberté de parole car sa mission n'est pas finie. Il faut se battre pour la liberté de l'enseignement libre! Malheureusement les ennemis ne sont pas toujours là où on les attend. Qui aurait pensé qu'un travail de sape viendrait des ultra-royalistes inspirés seulement par de vaines rivalités politiques? On ne peut que féliciter l'historienne pour avoir ressuscité ce héraut de liberté qu'elle qualifie admirablement "ô combien d'avant garde" B.C.D.
On est en 1919 à Kiev sous le pouvoir bolchévique. Samson, employé par la milice, est sensé arrêter tout responsable d’infractions. La tâche n’est pas facile car tous les jours tombent de nouveaux décrets et si le commerce de viande est interdit, peu sont au courant et la plupart feignent de ne pas l’être . Alors on suit Samson dont l’esprit bon enfant se soumet aux ordres miliciens tout en gardant une certaine liberté intérieure. Car il y a un décalage entre son bon cœur naturel et le cynisme des méthodes d’arrestation. En filigrane se dessine une existence entièrement à la solde des autorités. Ce qui n’empêche pas Samson de déroger à la loi. N’héberge-t-il pas le docteur Vatroukhine à son domicile lors de la mobilisation des médecins pour Moscou ? Ne se promène-t-il pas dans Kiev au bras de sa dulcinée sans être marié? Pourquoi son meilleur ami , qui se dit prêtre défroqué, dissimule la croix accrochée à son cou? Enfin Simson préfère consommer les pièces à conviction, même s’il s’agit d’un jambon faisandé ou d’oreilles de porcs pourries, plutôt que de remettre au parti les conclusions de ses enquêtes, car la famine règne à Kiev et il a faim . Pourquoi ne pas profiter aussi d’une exemption de corvées et d’avantages en mobilier en célébrant son mariage dans une « anti-chapelle » avec un « anti-prêtre » ? Et Dieu là-dedans ? Il s’est effacé, nous dit l'auteur, « pour montrer ce qui arrive quand les hommes essaient de s’organiser sans la garde et la miséricorde divines." Le but d’ Andreï Korkov est de peindre l’enfer bolchévique. Samson n'a rien de l’éleveur d’abeilles, ni la poésie ni l'espérance n'ont leur place sous le contrôle de la Tcheka . Une boîte à bonbons est la seule richesse du protagoniste et, quand on sait ce qu’elle contient, la consolation est bien piètre. Dans cette satire sociale plus que roman, A. Korkov offre des descriptions sordides heureusement allégées d’ un humour sans failles. Son but serait-il de convaincre que la misère vient des interdits et non de la libre entreprise?
L’histoire est vraie, c’est celle de Jules Bonneau arrêté en 1942 par les Allemands. Il agissait seul, sans lien avec la Résistance, juste au nom de cette liberté pour laquelle il se battit depuis sa tendre enfance. Le fil rouge du roman est ici un ruban de soie grise qu’il trouva autour de son poignet le matin où sa mère l’abandonna. Il se déroule dans la plus grande noirceur de l’école pénitentiaire pour mineurs de Belle-Ile-en-Mer, là où théoriquement une deuxième chance était offerte aux jeunes délinquants des années 30 mais où le lecteur ne trouve que des orphelins désemparés, des faibles abusés, des enragés devant l’injustice quotidienne. Face à un autoritarisme cynique de stupides garde-chiourmes, un homme et une femme sauront faire preuve d’amour jusqu’à faire passer Jules pour leur neveu tout en respectant sa liberté. Dans chacune des pages de Sorj Chalendon se retrouve la sensibilité de l’homme blessé qui ne cèdera sur aucune injustice. Sensibles à tout acte généreux et fidèles en amitié, l’auteur comme son protagoniste auront pour seul souci la juste vengeance. Symbole original de la France entre les deux guerres, où le nationalisme des Croix-de-Feu se confronte au socialisme du Front populaire, où l’océan comme la maison de rééducation emprisonnent plus qu’ils ne libèrent, seule l’ écriture tourmentée de Sorj Chalendon réveille les consciences et apporte quelques lumières dans cette très sombre humanité.
Et si les mots finissaient par devenir un puzzle et le roman juste un prétexte à réflexion ? Car tout est étrange dans l’existence de la narratrice. Elle laisse son mari pour s’isoler dans une maison au bord de la mer du Nord. Là le passé la rejoint comme les polders rejoignent le ciel. Les angoisses ressurgissent, présent et souvenirs se confondent . Pourquoi l’ ex-époux comme l’amant vivent exclusivement l’un pour sa collection d’ objets insolites, l’autre pour l’importance de sa porcherie ? Pourquoi sa fille a, comme elle, largué les amarres mais ne lui donne point de nouvelles ? Seul l’ex-mari entretient un échange épistolaire avec elle, sans grand intérêt certes, mais justifiant sa claustrophobie au contact de la gamine déséquilibrée dont son frère s’est amouraché. Le livre se poursuit aisément même si la monotonie des paysages est à la hauteur de la fadeur des personnages. La beauté du titre comme la subtilité du style laissent espérer des jours meilleurs, mais ce n’est qu’une faible illusion, la solitude est bien ambivalente ! Certes l’art de l’écrivain est de renouer avec les banalités de l’existence. Judith Hermann ne les sublime pas. Elle veut simplement comprendre le mystère de chaque être et si elle n’y parvient pas elle laisse aux mots eux-mêmes le rôle de suggérer, inculper, libérer, aimer. Livre qui laisse malheureusement derrière lui une atmosphère plutôt morose.